Heures et jours qui suivent l'accouchement

(4e partie) Importance des paroles autour du berceau

 

Françoise Dolto
 

 


F.D.: Ce que je voulais vous dire, surtout aux sages-femmes qui sont ici, puisque je sais qu'il y en a, c'est l'impact qu'ont les paroles sur les mères tout à fait au début, l'importance de la personne qui s'occupe du bébé, surtout si c'est une femme, l'importance de la façon dont elle s'en occupe et parle, la première fois, du bébé.

J'ai vu beaucoup de femmes, ayant des enfants avec des problèmes graves, qui me disaient: « Mais... la sage-femme, quand j'ai accouché, elle me l'avait bien dit .» C'est extraordinaire cet impact des premières paroles! Comme si, à ce moment-là, l'être humain vivait une telle intensité archaïque de la relation à l'Autre qu'une parole, dite en péjoratif, va agir dans la relation de la mère à son enfant d'une façon qui va obérer, chez cet enfant, la réaction de défense, pour entrer dans une relation sociale à la mère, qui serait...

Par exemple, une mère me parle de son enfant «insupportable » (ces enfants insupportables comme nous en voyons, insupportables à partir surtout de l'âge de la marche confirmée, à partir du non à la mère).

Vous savez qu'il y a un âge du non à la mère, qui est un non dans le faire ou la mimique, et qui est un « dire oui »du sujet qui advient à lui-même, et qui pour advenir à lui-même doit dire « non » à cette fatale dépendance à la mère qui fait qu'un être humain s'aliène dans l'autre de façon hystérique. Si l'enfant dit « non », que la mère répond: « J'ai dit », et ne fait pas un drame de cette opposition, quelques minutes après, l'enfant obéit parfaitement.

Il lui faut le temps « d'être oui », personnellement, à la suggestion de sa mère. C'est une époque connue qui survient entre dix-huit mois et deux ans et demi. Eh bien, c'est à ce moment que certains enfants deviennent « pervers » par une espèce d'angoisse de la mère devant l'opposition verbale de l'enfant.

Et c'est toujours des mères qui disent: « Ah! mais la sage-femme me l'avait bien dit, qu'il serait terrible! » Ou: « Mon amie Unetelle qui a vu beaucoup de bébés me l'a bien dit, elle est venue près du berceau et m'a dit: "Ah! celle-là, qu'est-ce qu'elle vous en fera voir. Ah! vous n'en avez pas fini avec celle-là!" »

Souvent c'est une mère qui jusque-là avait élevé ses enfants sans problème. Il a suffi d'une seule femme qui lui a prédit que celui-là, « il lui en ferait voir », pour qu'elle en attende... du mal. Et puis, dès que cet enfant, comme on dit, « lui en fait voir », ça y est, c'est ça! Et ensuite, ça fait boule de neige. Ça fait une relation qui se perturbe. Jusqu'au jour où elles peuvent arriver à dire ça, cet enfant est marqué, comme si son destin était de n'être qu'agressif avec sa mère, de l'en faire souffrir comme si ça avait été écrit.

Les paroles qui ont été dites au-dessus d'un berceau de nouveau-né s’écrivent comme un destin.

B.T.: C'est comme les fées qui parlent, et décident d'une vie!

F.D.: Mais absolument - ça me fait penser à ce qu'on raconte dans les contes, avec les fées ou les sorcières au-dessus des berceaux.

Etienne Jalenques: On pourrait peut-être généraliser et dire que, justement, dans tous les cas où le sujet est dans une période émotionnelle intense, il est particulièrement réceptif. Ainsi, toute situation exceptionnelle, de par les circonstances et les réactions «affectives immédiates qu'elle implique, provoque un état, un «éveil» particulièrement propice à l'acquisition définitive par la mémoire des différents aspects de la situation que le sujet perçoit.

Alors, au moment de l'accouchement, il y a une forte charge affective, et chaque fois qu'il y a une forte charge affective en cause, tout ce que vous dites rentre très fortement. Donc, essayez absolument de parler de manière positive avec vos patientes. J'ai comme cas l'inverse de ce que vous disiez (cette personne sortie du coma par des « bonnes paroles »).

Je me suis occupé, par hasard, quand j'étais en Algérie, de deux noyés, deux soldats qui étaient tous les deux dans le coma. Au premier j'ai fait du bouche-à-bouche et je l'en ai tiré. Bien. Le deuxième, j'étais en train de lui faire du bouche-à-bouche et il y avait des gens autour de moi, et le cœur était en train de reprendre et il commençait à avoir quelques hoquets respiratoires, quand tout à coup, à côté de moi, une femme a dit: « De toute manière, ça ne sert à rien, il est noyé, voyez comme il est bleu. »

Ça a été fini. il y a eu « hop », et terminé! Je n'ai pas pu le rattraper: seul, je l'aurais certainement sauvé. J'avais rattrapé le premier... A ce moment fatidique, la certitude de la femme qui disait: « Il est tout bleu, c'est fini, regardez.. », déterminait l'issue fatale. C'était fini !

L'enfant perçoit parfaitement ce que dit la mère de manière répétitive, ce qui implique une certaine constance à l'égard d'une situation donnée. J'ai le cas d'un enfant, enfin d'un adolescent, qui avait des difficultés dans ses études, et avait peur des livres. « Ça allait le tuer. » Il avait l'impression qu'avec la lecture, il y avait quelqu'un qui allait le tuer. Je n'arrivais absolument pas à trouver d'où ça venait...

Finalement, il est apparu, au cours d'une sortie émotionnelle, qu'il avait peur que ce soit sa mère qui le tue. J'avais analysé sa mère; revu la mère : elle avait eu des difficultés pendant la guerre avec cet enfant et elle voulait le tuer. Pour éviter de tuer l'enfant et de penser à tuer l'enfant, elle le prenait sur ses genoux, en lisant... Elle ne lui en avait jamais parlé et l'enfant l'avait pris intégralement et il avait eu ces difficultés ensuite. Et à partir du moment où c'était trouvé, c'était fini...

Donc, ils perçoivent bien les choses, directement, et l'inconscient est extrêmement sensible.

M.-C. B.: Tout ce que vous nous avez raconté ce matin et ce que vient de dire Jalenques est très important sur le plan de cette écoute et de cette entente prénatale, à une époque où, physiologiquement, on serait tenté de dire que c'est impossible, que le système nerveux auditif n'est pas terminé. On a dit tout à l'heure que, dans le fond, un enfant très jeune, de huit jours, on peut lui parler de n'importe quoi... Je crois qu'on ne peut lui parler n'importe quelle langue.

Jacques Mehler a montré qu'au bout d'un mois, et probablement bien avant, si on parle la langue maternelle d'un enfant, son rythme cardiaque se transforme d'une manière tout à fait autre que si on parle une langue étrangère. Donc il reconnaît la langue maternelle. À plus forte raison, la voix maternelle.

On pourrait dire qu'il reconnaît la voix maternelle... à la suite de son expérience intra-utérine, mais en tout cas il reconnaît la langue. On commence à penser notamment après les travaux de Feijoo sur la reconnaissance de certains mots dits par le père, qu'il engramme même des mots.

B.T.: In utero?

M.-C.B.: In utero. Oui.

« Ma petite chérie dont les yeux sont plus beaux que les étoiles »

F.D. : Oui, je vais vous raconter une chose qui a l'air d'être une histoire et qui confirme ce que vous dites. Mais c'est pour un enfant de neuf mois.

Il s'agit d'une psychanalyste de grande valeur, qui est morte d'une maladie de Hodgkin; une psychanalyste que j'estimais et appréciais beaucoup, quand sa maladie s'est déclarée, maladie dont elle n'a pas su d'ailleurs le diagnostic, et moi non plus (je savais qu'elle était très malade).

Elle m'a demandé de la recevoir, étant sous cortisone, avec ces forces pulsionnelles que donne la cortisone quand c'est limite. Elle avait besoin pour continuer son métier d'avoir quelqu'un qui accepterait de l'écouter en analyste. Son propre analyste qu'elle est allée retrouver ne s'en est pas senti le courage... Il a dit: « Non, non, ça ne sert à rien... ça n'est pas de l'analyse », etc. Bon, alors elle est venue me voir. J'ai dit: « Pourquoi pas? », et une fois par semaine je l'écoutais.

C'était de temps en temps interrompu par des séjours à la Salpêtrière. Elle en revenait en disant: « On m'a examinée, on me donne tel traitement, on a changé le traitement, la dose de cortisone. » Jamais, jamais, et jusqu'à trois jours avant sa mort, elle n'a parlé de sa mort; elle ne parlait que de la vie, et de résistance au mal, et même d'une façon qui inquiétait sa famille, en ce sens qu'elle faisait des économies... Elle ne voulait pas dépenser trop, puisque probablement il lui faudrait quatre ou cinq ans pour guérir, lui disait-on...

À la fin, elle était paraplégique, mais elle tenait comme ça, dans l'espoir de sa guérison. Elle n'a jamais pensé qu'elle pourrait y rester et elle a eu des relations sexuelles jusqu'à deux jours avant sa mort C'est dire comment on peut vivre aussi gravement malade en étant pleinement dans la vie, et avec les autres.

Un jour elle vient chez moi, c'est la dernière fois qu'elle est venue à mon domicile puisque après (il se préparait une métastase médullaire), dans la semaine qui a suivi, elle a été paraplégique, et elle n'a plus pu venir; la dernière fois qu'elle est venue chez moi, elle me raconte un rêve en me disant: « J'ai éprouvé cette nuit par un rêve un bonheur qui ne peut pas exister sur terre, un bonheur que je n'ai jamais connu; vous ne pouvez pas savoir, c'était extraordinaire », enfin, s'étalant sur l'émoi, la spiritualité, le confort, la merveille.

« Pour vivre, revivre un émoi pareil, qu'est-ce qu'on donnerait dans le monde pour connaître ça! » Et c'était accompagné de paroles qui n'avaient pas de sens, de syllabes qui n'avaient pas de sens. Pendant qu'elle les parlait sur le divan, j'ai noté ces syllabes. « Quand je les redis ces syllabes, c'est extraordinaire, c'est merveilleux. »

Elle se lève du divan et je lui dis: « Et si ces paroles étaient de l'hindou? », parce que c'était une femme qui, à un mois, avait été emmenée en Inde, son père, anglais, ayant été nommé là-bas; à neuf mois son père est revenu en Angleterre. De un mois à neuf mois, ses parents ayant un peu de représentation à faire, sa mère a pris une personne de service, comme cela se faisait là-bas, une petite de quatorze ans qui était la fille de gens qui faisaient la cuisine et le jardin de leur bungalow de fonction. Et la fille de quatorze ans s'est entièrement occupée d'elle, elle l'avait dans les bras toute la journée.

La mère s'en occupait bien sûr aussi; elle a été au biberon dès qu'elle a été là-bas. Il y avait, déjà à cette époque, du lait sec; sa mère ne la nourrissait pas, et elle a donc été entièrement avec cette petite indigène. Elle le savait, il y avait des photos... Elle me dit alors: « Oh! ça serait trop drôle... » Je dis:

«Pourquoi pas?

- Mais comment le savoir?

- Allez à la Cité universitaire, il y a une maison indienne. »

Elle est allée à la maison indienne, et elle y a d'abord rencontré un étudiant qui lui a dit: « Oh! vous savez, il y a tellement de langues, moi, je ne sais pas, ça ne me dit rien du tout... De quel côté étiez-vous, en Inde, quand vous étiez petite?... Ah! eh bien un tel est de ce côté-là, allez-y, vous savez il y a soixante-dix langues aux Indes. »

Bon, elle va chez ce type-là, qui se met à rire, et dit: « Ben oui, c'est ce que toutes nos nounous disent aux bébés, ça veut dire : "Ma petite chérie dont les yeux sont plus beaux que les étoiles." » Elle avait quitté sa petite nounou indienne à neuf mois! Les parents avaient hésité à ramener la jeune fille qui avait tellement de chagrin de quitter le bébé dont elle s'était occupée pendant huit mois, et puis, finalement, cet isolement dans lequel elle serait... ils ne pouvaient pas emmener toute la famille. Enfin, ils ont résolu de laisser la jeune Indienne aux Indes et ils ont ramené leur bébé.

Avant cette épreuve qui la guettait, dont elle avait sans doute l'intuition, l'épreuve de cette tumeur médullaire qui allait lui donner une image du corps coupée en deux - elle ne pourrait plus jamais marcher avec ses propres jambes - elle retournait donc au « porté » comme image du corps inconsciente, au « porté par une personne », et elle fait ce rêve nirvânique et merveilleux, avec ces paroles: « Ma petite chérie dont les yeux sont plus beaux que les étoiles. »

Voilà qui vous fait comprendre en effet que la langue dont vous parliez n'est pas n'importe quelle langue, et que l'engramme était l'engramme de l'amour maternel inscrit dans l'image du corps d'un enfant qui ne se porte pas sur ses propres jambes, mais qui est porté par les jambes du corps de qui elle est l'objet partiel, aimé. Cette parole qui lui était parlée en rêve, c'était une parole d'elle parlant hindou à elle-même, « allant-devenant » femme.

Si elle « allait dé-devenant » un corps adulte intègre, elle restait une femme dans la relation d'amour avec une autre. C'est ça qui peut nous faire comprendre ce rêve qui, malade comme elle était ensuite - puisque après elle était grabataire -, a été tellement impressionnant pour nous deux, analystes, elle autant que moi; et elle peut-être même meilleure analyste que moi; c'était une femme de très grande valeur.

Et elle me dit: « C'est tout de même extraordinaire d'avoir des choses comme ça... à neuf mois.» Nous en étions, à ce moment-là, il y a de ça une vingtaine d'années, nous en étions encore tout à fait aux balbutiements de la compréhension du langage qui s'incarnait dans les bébés, et qui, dans l'image du corps, marquait une certaine époque charnalisante autant qu'introjectée de la relation du bébé à l'adulte nourricier et tutélaire auxiliaire à nos besoins et, s'il est aimé et aimant, initiateur aux modalités de nos désirs, complice de nos émois.

P. : Si tu permets qu'on revienne sur les relations mère-enfant; l'enfant, le fœtus humain, a une relation avec l'environnement, pas seulement avec la mère. Certaines personnes ont prétendu que les rêves de la mère avaient un effet sur l'enfant. Je ne voudrais pas être mécaniciste, mais on peut se demander où ça passerait. Et, à mon avis la seule relation qu'il peut y avoir entre la mère et l'enfant, c'est le discours qui précède l'enfant, et ça n'est pas seulement le discours de la mère mais celui du père également.

F.D.: Mais c'est ce que je disais tout à l'heure en parlant de la fratrie...

P.: Tu insistes beaucoup sur I 'importance de la mère...

F.D. Mais c'est tout de même par son intermédiaire que c'est transmis à l'enfant. Il n'est pas tout seul, il n'est pas in vitro...

Je vais te dire tu, puisque tu me tutoies...

P.: Mais est-ce par l'intermédiaire de la pensée de la mère, ou par un langage exprimé?

F.D. : Est-ce que la pensée existe toute seule? Est-ce qu'une femme a une pensée? Non, elle est tout un être; il se trouve que ça se traduit par un dire, son dire est l'expérience de son être. Si nous répétons à notre enfant une bande magnétique sans la penser, eh bien, nous ne sommes pas un être vivant avec lui.

Le vivant n'est pas une pensée seulement, c'est tout un ensemble affectif, intellectuel, corporéisé, qui se manifeste à l'enfant, mais il se manifeste à travers une langue qui est celle dont nous avons l'usage. Il y a une langue parlée, la langue parlée qui atteint les pulsions auditives de l'enfant est un moyen, quand elle est retrouvée ensuite, de réveiller l'ensemble des sensations de l'époque, dans la relation interhumaine et interpsychique qu'il y avait à ce moment-là.

Alors, c'est à travers la mère tout de même: tu ne peux pas dire que l'enfant entend tout seul.

Bien sûr qu'il n'entend pas tout seul, mais disons que c'est une relation - comment dire? - d'ordre organique.

B.T.: Non, pas seulement.

Les rêves de la mère sont en relation avec le vécu de l'enfant. Je prends l'exemple d'une de mes amies, en analyse, et qui, à partir de sept mois, raconte à son analyste des rêves étonnants du genre: « C'était un tout petit bonhomme enfermé dans la cuisine; il ouvre la porte du réfrigérateur, c'était vide, il n'y avait rien à manger... »

Et puis le lendemain, ce rêve revenait: « C'était un tout petit bonhomme, il était enfermé dans une boîte d'allumettes, il était tout petit, petit. » Je ne sais pas ce que l'analyste pouvait en dire ou penser! Toujours est-il que cette femme arrive, le jour de l'accouchement, voit l'interne de service, et lui dit:

« Faites préparer l'isolette, ça sera un tout petit bébé.

- Pourquoi? votre hauteur utérine est satisfaisante. Ah! ces femmes de médecin! Elles ont toujours de ces histoires!... »

Cette femme accouche d'un bébé qui ne faisait pas le poids et qu'on a dû mettre en isolette. Il y avait un nœud sur le cordon. Les obstétriciens ont dit: « Ça n'est pas un nœud qui s'est serré dans les derniers jours, il y a longtemps que ce nœud s'est constitué. »

Comment cette femme pouvait-elle savoir? il n 'y a pas de transmission par des fibres nerveuses passant du corps de l'enfant au cortex cérébral de la mère. Est-ce qu'elle percevait un petit poids? Est-ce que son cortex cérébral, sa machine à calculer à penser, à rêver la nuit, fonctionnait en disant:

« C'est bien petit, c'est bien petit»? Je ne sais pas.

P.: ... Ça n'est pas évident que ça soit elle qui l'ait perçu.

B.T. : C'est elle qui rêvait tout de même, et qui racontait ses rêves.

P. : Est-ce que c'est quelque chose qu'elle avait perçu ou qui est arrivé du fait d'un désir...

B.T.: Je ne dis pas que le cordon s'était noué parce qu'elle avait ces rêves. Je dis plutôt que ces rêves venaient parce que... Ça me semble plus raisonnable de penser ça. Toi, tu as l'air de penser que ça serait dans l'autre sens... Je ne sais pas. Posons la question. Mais moi, je ne peux pas oublier cette histoire.

D.: Nous ne pouvons pas le savoir. C'est une question qui reste posée, mais c'est certainement une relation fusionnelle, où les fantasmes, les rêves qui sont les fantasmes nocturnes de la mère qui lui restent en mémoire, traduisent autant sa relation au bébé, venue de ses fantasmes archaïques antérieurs à elle, que celle actuelle du bébé qui transmet à sa mère une sensation d'être.

Et ça ressemble, en souffrance, en négatif pourrait-on dire, concernant sa conscience, à ce que je vous ai dit avoir éprouvé moi, à cinq mois, puis à sept mois de mes grossesses, mais en positif... Il y avait là un autre être qui m'accompagnait, à partir de cinq mois, pour les trois enfants que j'ai eus; et à sept mois, il y avait un autre être qui défendait sa propre vie et qui me faisait ressentir... C'était pas dans les rêves...

C'est pour ça que je dis: c'était peut-être un fantasme, mais la première fois que c'est arrivé, je ne m'y attendais pas du tout, et les autres fois pas davantage; mais je me rappelais: ah oui, c'est comme le premier, et je calculais: oui, c'est bien ça, cinq mois, c'est bien là que c'est arrivé, parce que l'on ne calcule pas tous les jours à combien on en est, quand on est enceinte.

P.: Mais ce n'est pas un problème de relation entre la mère et l'enfant.

F.D.: Mais si, c'est un problème de l'enfant qui se développe. Dans mon cas, c'est un problème d'enfant qui se développe et qui arrive à cinq mois. Dans celui-là, c'est le problème d'un enfant qui souffrait de ne pas être alimenté comme il aurait dû l'être par son cordon ombilical, et qui le faisait « ressentir à sa mère, qui de ce fait en rêvait.

On ne peut pas savoir duquel ça vient... je crois que l'être humain a son désir, l'« epsilon de désir » comme tu l'as très bien dit, hier.

Mais je dis il faut être trois pour qu'un enfant vienne au monde. Il faut un désir inconscient et conscient du père, pour qu'il soit conçu: il faut le feu vert du père, le feu vert ou orange ou clignotant de la mère et le feu de Dieu de l'enfant, qui désire vraiment, lui, s’incarner. Il a son mot à dire... à quel jour va-t-il commencer à manifester son désir?...

Il le manifeste depuis le début en développant son corps, en prenant sa masse, et quand il ne prend pas sa masse il ne correspond pas au génie de l'éthique, de l'éthique que nous pouvons supposer au fœtus, et que nous retrouvons chez tous les enfants psychotiques: l'éthique du vampire.

L'éthique du vampire, c'est l'éthique du fœtus! S'il pouvait dire son éthique, ce serait: se nourrir de sang pour augmenter sa masse; c'est cette éthique biologique qui aura sa répercussion fantasmatique plus tard, quand, resté un enfant qui n'est pas entré dans la communication, comme les enfants habituels, il nous traduira par cette éthique qu'il est en train de revivre sa vie fœtale, en peignant du rouge envahissant l'espace de la page, en buvant et urinant constamment, comme le fait tout fœtus.

P.: La question que le pose, c'est que certaines personnes prétendent qu'il y a une relation de pensée à pensée, entre la mère et son enfant.

F.D.: Elles le prétendent; mais nous n'en savons rien, nous sommes en train d'étudier les effets organiques et les effets psychiques de cette relation, dans ce qu'il en reste après coup dans leur comportement aberrant mais signifiant.

Suit une discussion intéressante, mais confuse, malheureusement en majeure partie inaudible sur l'enregistrement. Cette discussion concernait des hypothèses sur certains modes de transmission humoraux d'information. Il y était question d'hormones et d'expériences animales sur les planaires, mettant en évidence la transmission de «mémoire», d'apprentissage par l'intermédiaire d'A.D.N.

M. T.: Je voudrais changer un peu le ton de la réunion puisque c'est mon rôle; quitte à dire quelques choses désagréables. Je crois qu'il faut arriver à un peu plus de modestie. Depuis deux jours, on entend une série d'historiettes, d'histoires, qui sont certainement très intéressantes, mais il ne faut pas croire pour autant qu'une histoire, qui est bien choisie, forcément, puisqu'elle est faite pour illustrer une pensée, a une valeur de démonstration.

Ceci me rappelle une histoire très triste, celle de la médecine en France qui, pendant des dizaines d'années, n'a pas fait de progrès parce que les gens raisonnaient sur un cas qu'ils avaient vu: ils en tiraient des conclusions et allaient enseigner qu'il fallait faire comme eux parce qu'ils avaient vu un cas, ils l'avaient traité comme ça, avaient eu raison.

Je crois qu'il faut essayer de voir les choses d'une autre façon: j’ai été très frappé, hier, quand Michel Odent, je regrette d'en parler alors qu'il est parti, a décrit son histoire d'ictères qui avaient diminué. Un autre avait trouvé qu'ils avaient augmenté. Je trouve qu'une simple courtoisie de sa part aurait été de compter les ictères qui sont survenus et de comparer aux années antérieures. À partir de ce moment-là, on peut discuter et, éventuellement, émettre des hypothèses.

Je crois qu'il est difficile de raconter des histoires; de broder, à partir de ces histoires, comme on le fait depuis ce matin, et d'en tirer des conclusions définitives.

F.D. : Mais est-ce que vous croyez que nous tirons des conclusions, ou que nous évoquons de quoi faire réfléchir tout le monde, et travailler, chacun au point où il se trouve, par rapport aux enfants?

T.: C'est une première étape, on émet une hypothèse, et on essaie de la soutenir, de la démontrer ou de l'infirmer, ce qui n'est pas fait: les gens émettent des idées et concluent.

F.D.: Mais bien sûr, il faut travailler, et quand on travaille, on croit à ce qu'on fait, cela n'empêche pas qu'il faut garder l'esprit critique.

D.R. Mais enfin, les gens, quand ils guérissent, on s'en rend compte...

M. T.: Non... tu trouves que les enfants sont souriants, mais tu trouves ça.

D.R. : Non, le ne trouve pas que les enfants sont souriants, il ne s'agit pas de ça. Je veux dire que quand Mme Dolto et certaines personnes ici parlent d'un cas, nous en avons beaucoup en psychothérapie, nous voyons bien ce qui se passe.

M. T. : Mais les histoires, c'est comme les proverbes, on leur fait dire ce qu'on veut, on trouve toujours...

D.R.: Mais tu le vois bien quand un enfant va mieux en médecine; nous le voyons bien, nous aussi, sur le plan psychologique, quand la souffrance cesse.

M. T.: Mais le « mauvais médecin » dont je parlais tout à l'heure, lui aussi considérait qu'il avait guéri son enfant. Un exemple fâcheux, en obstétrique, a été le traitement par le Diéthylstilboestrol. Les médecins ont cru bien faire à l'époque, à partir d'une hypothèse non démontrée, en donnant des œstrogènes d'une certaine forme aux femmes enceintes.

Vous connaissez la suite de l'histoire, pas tous sans doute. La première suite, c'est qu'il y a des filles qui sont mortes d'un cancer du vagin, vingt ans après, alors que leur mère pendant leur gestation avait eu un tel traitement. La deuxième suite qui apparaît seulement maintenant, c'est que les garçons qui sont nés de ces mères traitées ont une hypofertilité très importante, et qu'un bon nombre ont des azoospermies, et n'auront jamais d'enfants.

L'efficacité de ce traitement s 'est secondairement avérée nulle, mais son danger s 'est avéré effroyable. Heureusement, je ne pense pas que vous soyez très dangereux. (Rires.) Mais il faudrait essayer de savoir si vous êtes efficaces.

M. - M. C.: Mais, Michel, dans notre clinique il y a énormément de choses, sur le plan médical, qui sont très énigmatiques, sur lesquelles on ne tire aucune conclusion; on travaille, on fait ce qu'on peut sur le plan médical. En voulant maîtriser, vaincre, avoir des résultats immédiats, on finit par avoir des effets nocifs à long terme. Le plus difficile est de ne pas extrapoler le savoir maigre dont on dispose, de maintenir cette immense part d'énigme...

M. T. : Il est important d'avoir des idées, bien sûr, mais il faut aller plus loin...

M. - M. C.: Laisse-moi finir...

DR.: Nous te remercions de ton encouragement, nous irons plus loin.

F.D. : Mais ce qui est important aussi, c'est quand la relation se rétablit entre un nourrisson et son entourage; à partir de ce moment-là, quel que soit ce qui se passe dans son corps, il y fait face beaucoup mieux. Et cette relation, on n'y avait pas pensé, quand on ne pensait qu'à la médecine du corps et aux tests du corps.

Et c'est ça que nous apportons: la relation de « sentiments exprimés dans des paroles » est une relation que ne remplacera jamais aucun traitement organique. Ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas faire les traitements organiques, que l'on pense devoir faire, avec toutes les erreurs que l'on fait. Mais ne pas oublier que la relation symbolique, c'est la source de la vie pour un humain, être parlant.

La vie du corps qui se porte bien, c'est celle d'un mammifère, sans sujet de désir. Le sujet ne survit que du fait d'une dialectique exprimée, pour les êtres parlants, par la parole et par les fantasmes sous-jacents à la parole, qui ne s'expriment clairement par la parole que dans la langue maternelle que l'enfant a connue depuis l'origine. Nous insistons ici sur cette relation symbolique, depuis l'origine.

Ceci n'infirme pas du tout la valeur des critiques sur les erreurs que l'on pourrait faire, mais je ne crois pas que la relation, quand elle rétablit la communication d'un être humain avec son entourage, puisse être nocive, vingt ans après!

M. T.: Je parle de méthodologie, si vous voulez, la psychologie est une science...

F.D.: Ce n'est pas une science au même titre que les autres.

M. T. : Je crois qu'il faut choisir son genre: ou bien on fait de bons mots, de la poésie, ou bien on essaie d'aborder un sujet avec une certaine rigueur.

B.T. : Oui, mais ta «fonction», hier, te faisait déjà dire: « Vous allez systématiquement préconiser l'accouchement à domicile » - ce que nous ne voulons pas faire! Dans ton imaginaire, nous sommes des dangers publics. Pourquoi?

M. T.: Ne me fais pas dire ce que je n'ai pas dit. J'ai dit que nous allons avoir demain la demande d'accouchement à domicile.

B.T.: Aujourd'hui, tu dis que nous ne faisons pas de statistiques et tu n'imagines que des catastrophes. En ce moment, tu « m'emmerdes », tu n'imagines que des calamités, systématiquement.

F.D. : Mais il était là pour ça... chacun son rôle...

B.T.: Drôle de rôle! Moi ça m'énerve, ça bloque tout...

D.R.: C'est dégueulasse...

F.D.: Eh bien, moi, je ne trouve pas. Parce que, écoutez, il y a vingt ans, c'est tout le monde qui aurait été « dégueulasse ». Moi, j'ai connu ça, quand en 1940, dans les salles de garde, je parlais de la psychanalyse et de ces relations précoces. Et maintenant, regardez, tout le monde écoute avec attention, chacun en fera ce qu'il pourra, mais on écoute des témoignages au lieu de mettre tout de suite la personne dehors. C'est tout de même un changement, non?

Etienne Herbinet: Je voudrais répondre à Michel Tournaire: pour l'histoire du Diéthylstilboestrol, on est d'accord. Là, tu soulignes un danger: il faut faire attention à ce qu'on fait. Mais par analogie dans le domaine relationnel, je crois que c'est en empêchant les gens de parler qu'on peut faire du tort. On peut faire la catastrophe que tu soulignes, en empêchant la parole qui a un besoin d'être dite.

J.: Bon, pour dédramatiser les choses : je crois que ce qui est en train de se passer avec votre question, c'est que vous parlez sur un double niveau, et que peut-être nous ne faisons pas attention au fait que nous parlons à un double niveau. Vous êtes en train de dire que, finalement, nous racontons des anecdotes.

Nous sommes ici pour essayer de transmettre et de communiquer. Ce qui se passe, c'est que le premier niveau est celui du fond de notre pratique, c'est la philosophie générale que nous dégageons de notre pratique. Maintenant, le deuxième niveau, c'est la manière que nous avons d'essayer de vous le communiquer: au niveau de ces anecdotes, c'est tout. Mais ces anecdotes représentent, en fait, le point le plus frappant de notre pratique.

M. T.: C'est tout à fait comparable à la médecine somatique...

E.J.: Par rapport à Michel Odent, vous parliez tout à l'heure des ictères qui arrivent plus ou moins en fonction du moment de clampage du cordon. Apparemment, les expériences ne sont pas comparables: tout l'environnement est différent.

M. T.: Oui, mais il aurait été facile pour lui de compter combien il avait d'ictères...

E. J.: Oui, mais les expériences ne sont pas comparables.

M T.: On dit: « J'ai l'impression que... » Un autre dit: « J'ai l'impression nette que... »

Il est très facile de compter.

B.T. furieux: On a autre chose à faire que des statistiques! La vie ne se répète pas... jamais je ne ferai de statistiques.

- M. C.: Il faudrait peut-être préciser certains points : hier, on nous a beaucoup parlé du bien-être. Aujourd'hui, Mme Dolto nous a dit que c'était plutôt du côté du dire que ça faisait être. Elle nous a donné quand même des cas spectaculaires, et c'est ça qui nous fait réfléchir. Mais il ne faudrait tout de même pas risquer de tomber dans l'idée qu'il faut «faire parler», qu'il faut « cuisiner» les femmes, qu'il faut de la relation pour la relation. Je crois qu'il fa ut quand même avancer pour préciser ce qui est ce « dire juste ».

F.D. : Il faut être prêt à écouter...

On s'est tellement lancé, et à juste titre, dans l'hygiène du corps et le soin au corps des humains, comme in vitro, comme si c'était des petits mammifères, qu'on a oublié tout le reste; c'est pour ça qu'on a une telle quantité d'enfants psychotiques, ça ne s'est jamais vu, autant d'enfants psychotiques, superbes au point de vue physique, physiologique, mais qui ont des ruptures de communication.

Tous les enfants psychotiques que nous voyons sont des enfants qui ont eu des ruptures de communication avec la personne humaine qui devait leur être médiatrice du monde. Ce ne sont plus du tout des enfants qui ont souffert d'une pauvreté du milieu. Ce sont très souvent des enfants de milieu aisé, instruit et même très cultivé, qui ont eu des personnes mercenaires se succédant auprès d'eux.

Ce n'est pas une question de milieu social, cette « reconnaissance de l'enfant à respecter dans sa personne. Ce n'est pas du tout lié à un milieu social. C'est ça qui est intéressant. C'est toujours lié à la rupture de communication de l'être dont l'enfant est dépendant, et qui disparaît à un moment, sans que rien ne lui en soit dit, en même temps que son corps continue d'être parfaitement bien portant, et c'est ça qui oblige à penser à la relation interpsychique de l'élevage humain.

M. T.: il faudrait encourager les gens à la tolérance.

Je suis très frappé: il y a eu essentiellement un son de cloche émis, et j'ai eu beaucoup de plaisir à l'entendre. J'ai été frappé de voir que, quand j'émets un autre son de cloche, je suis insulté: « Tu m'emmerdes », par Bernard This. Je trouve cela très décevant.

D.R.: Mais tu as commencé à nous dire qu'il fallait qu'on soit modeste et des choses comme ça.

F.D. On l'est, et c'est vrai.

D.R. On l'est, Michel; et il faut voir sur quel ton tu as dit ça : « Je vous demanderai un petit peu de modestie messieurs-dames. »

Moi, je doute tout le temps, tout le temps, de ce que je fais. Je croyais l'avoir laissé comprendre. Je ne donne pas de chiffres. La psychométrie: non. On parle un petit peu de changer la vie. On est des gens très modestes.

M. T.: On me demande mon cheminement: je peux vous le dire. J'ai étudié en France la médecine traditionnelle, dans laquelle le patron disait: « J'ai vu un tel cas, et il faut faire comme ça. » Et il avait raison puisque c'était le patron. On ne discutait pas. Et j’ai été frappé, en allant aux Etats-Unis, de voir des choses différentes: il y avait une recherche de vérité, et avant de dire: «Moi, je fais ça, donc j'ai raison», on étudiait quelques centaines de cas et on en tirait des déductions avec une certaine rigueur.

C'est ce qui doit pouvoir se transposer tout aussi bien dans votre domaine. Si la médecine suédoise a également progressé, c'est qu'elle aussi a une méthode et une rigueur alors qu'on reste toujours, ici, à raconter: «J'ai vu un cas comme ça, je l'ai traité comme ça, j’ai gagné; je suis le patron, donc il faut faire comme ça. »

F.D. Mais ici, il n'y a pas de patron. Moi, je n'ai jamais été patron de rien.

Catherine Dolto: Mais, Michel, une femme qui va accoucher et qui va raconter ce qu'elle a raconté à la personne qui était là (Le Lirzin), c'est important! Alors, parle-nous, toi, de la conception que tu as, de ce que tu aurais fait, et de ce que ça prouve, ou de ce que ça ne prouve pas.

Mais parle-nous de la même chose, ne nous dis pas : « Donnez-moi des preuves de quelque chose dont moi je me dégage complètement. »

B.T.: C'est quand même la première fois que, dans un service hospitalier, nous pouvons nous exprimer à ce niveau. Et je remercie tous ceux qui nous ont invités et nous ont permis de parler ainsi! Bien sûr, Michel Tournaire, dans la mesure où tu as des exigences de rigueur, je te comprends. Je m'excuse même d'avoir eu des paroles... qui me débordaient!

M. T. Mais il n'est pas normal que, brutalement, il n'y ait plus que la partie qui ne pouvait pas se faire entendre qui parle.

F.D. : Mais il faut que l'autre continue de parler... certainement!

G.H.: Ça rend compte de la difficulté qu'il y a à parler entre obstétriciens et psychologues. Même avec de la bonne volonté, il y a certainement des choses que l'on n'accepte pas très volontiers. On ne ressent pas les choses de la même façon...

E.H.: Mais il faut tout de même réaliser qu'on soigne, nous spécialistes différents, le même individu. On a tous, les accoucheurs, un souci de sécurité à la naissance, c'est-à-dire, comme boutade, que pour qu'un enfant puisse devenir « dingue», il faut quand même qu'il ait un cerveau intact...

G.H. : Et c'est notre obsession.

F.D.: Oui, un psychotique est intact sur le plan anatomopathologique.

E. H.: Notre obsession, c'est d'avoir un enfant né avec un bon cerveau, intact. Mais il n'y a pas que ça, il y a ce qui va lui arriver ensuite. C'est pour ça qu'on ne s'oppose pas, psychologues, pédiatres et accoucheurs... Mais peut-on se compléter?

M. T.: Dans une hiérarchie des urgences, je mettrai d'abord le cerveau intact. Après coup, on sait qu'une grande majorité de naissances se sont passées sans problèmes, mais on ne peut pas prévoir avant l'accouchement lesquelles. C'est le problème du risque de l'accouchement à domicile.

Nous sommes en train, dans le service, de faire un travail pour essayer d'évaluer dans quels cas les gens auraient pu très bien accoucher à la maison, et surtout dans quel cas le risque était vraiment prévisible. Il apparaît que certains accidents sont imparables et, quels que soient les moyens de transport pour amener les gens à l'hôpital, on n'évitera pas un certain nombre d 'accidents.

C. D.: Mais tu ne peux pas utiliser ces problèmes techniques comme instrument pour masquer un certain nombre de problèmes. Tu mets toujours ces problèmes techniques en avant pour éviter d'avoir à parler, toi, en tant qu'obstétricien, mais aussi en tant qu'homme, face à des femmes qui accouchent. Qu'est-ce que tu fais en dehors de la technique?

M. T. : J'ai l'impression de ne pas être un sauvage, d'avoir un contact avec mes patientes et de les écouter. Je crois qu'il y a quelques personnes dans cette salle qui pourraient en témoigner.

G. H. : Mais c'est justement là la difficulté, c'est que les gens qui font le travail, les accoucheurs et les sages-femmes, sachent faire la synthèse. Et c'est la seule chose qui n'a pas été abordée en ces deux jours. Comment faire la synthèse?

F.D. : Je crois que ça sera plus facile au niveau des sages-femmes que des techniciens accoucheurs.

Dans un domaine différent, il y a une chose qui pourrait jouer beaucoup pour les enfants en couveuse: nous qui voyons les enfants psychotiques, le séjour prolongé de certains enfants en couveuse est vraiment patent, et ça, d'après ce que j'ai lu, dans tous les pays.

Aux États-Unis, Salk a essayé d'améliorer les choses en émettant dans la couveuse le bruit du cœur, adulte, substitut du cœur de leur mère. J'ai une consœur qui est allée dans une clinique en Amérique, où ils ont fait cette transmission du son du cœur adulte chez les prématurés, dans les couveuses, jusqu'au moment présumé des neuf mois où on arrêtait cette audition du cœur. Et ils ont assisté statistiquement à une vitalité bien meilleure de ces enfants dans ces couveuses.

Mais ça ne faisait pas la parole. Pourquoi n'y ajouterait-on pas la possibilité offerte à la mère, trois ou quatre fois par jour, de venir apporter sa parole à l'enfant, dans la couveuse? Je suis convaincue que si on faisait cette expérience, on n'aurait plus d'enfants autistes comme nous en avons à la suite de six semaines de couveuse.

M.-C.B.: Elle a été faite. Non seulement il y a moins d'enfants autistes, mais il y a aussi moins d'infection et moins de mortalité.

F.D.: C'est très bien d'avoir commencé par le corps, on ne pouvait pas faire autrement, surtout à la lin du XIXe siècle, avec cette découverte scientifique du traitement du corps de l'enfant. Mais il faut y ajouter la parole parce que cette parole est essentielle; elle est consubstantielle au corps de l'enfant et lui est aussi nécessaire que ce qui lui est nécessaire pour les métabolismes du corps. Il y a un métabolisme du psychisme qui commence dès la vie fœtale.

 


Texto de F. Dolto en Sospsy.com

 

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