Heures et jours qui suivent l'accouchement

(3e partie) Relations mère-enfant pendant la grossesse

 

Françoise Dolto

 

 

G. H.: Peut-on parler d'un autre sujet, et savoir ce que vous pensez des relations mère-enfant pendant la grossesse?

F.D.: Ce que je pense... Ce que je pense des miennes?

J'ai eu des relations avec mes enfants avant leur naissance; j'étais très étonnée des deux moments: cinq mois et sept mois. Pour le premier surtout, parce qu'une femme est très surprise pour le premier. Le deuxième on reconnaît qu'on a déjà éprouvé ça. Je ne sais pas si les mères qui ont eu des bébés peuvent le dire...?

Jean Bienaymé: Nous parlons de relations mère-enfant pendant la grossesse. J'ai eu l'occasion d'écouter des bandes sonores réalisées par des acousticiens de l'équipe de Tomatis, qui ont réalisé un modèle physique, reproduisant l'oreille fœtale dans son milieu liquide.

Ce modèle physique reproduit, scrupuleusement, ce qu'entend le fœtus: une quantité de choses. Il entend la musique de l'électrophone, des voix extérieures : la voix de la mère, la voix du père et de personnes de l'environnement, il entend les bruits digestifs, il entend très bien le cœur; ces bruits organiques sont d'ailleurs assez peu transposés.

Il entend les bruits respiratoires qui, eux, sont totalement transposés. Et le bruit respiratoire de la mère, et ça a frappé tous ceux qui ont entendu cette bande sonore, reproduit exactement le bruit de la mer sur la grève...

Et, assurément, dans cet attrait particulier qu'ont certains individus pour le bruit de la mer sur la grève, se retrouve probablement cet engramme du bruit de la respiration maternelle, gravé pendant des mois.

F.D.: Ceci est intéressant car cela nous indique ce que tout enfant, quelle que soit sa relation à telle mère, dans telle situation, perçoit du fait qu'il est in utero; mais nous parlons de la relation pensée et parlée de la mère avec son enfant, cela dépend de chaque mère.

Alors, vous dire comment les mères l'établissent, je n'en sais rien; je ne peux vous dire que mon expérience personnelle. Pour moi ce fut à cinq mois, et ceci n'est pas lié au fait que j'ai su vers quatre mois, par mon accoucheur futur, que le cœur battait; la première chose qui m'a beaucoup frappée, c'était vers cinq mois. Je me promenais au jardin du Luxembourg, quand tout d'un coup j'eus le sentiment d'une présence proche, très attentive, et comme égale à la mienne.

Je me dis, mais enfin... je me retourne à droite, à gauche, mais il n'y avait personne, je marchais et ce sentiment de présence demeure... Et puis, je suis arrivée à la maison, j'en ai parlé à mon mari, et je lui ait dit: « Tu sais, c'est peut-être le bébé qui est là. C'est tout de même étrange que je ne puisse pas savoir si c'est une fille ou un garçon. » Bon, voilà! À partir de ce moment, cette présence ne m'a pas quittée; il y avait une présence en moi.

Et je l'ai retrouvée dans mes deux autres grossesses et chaque fois vers cinq mois, et sans notion de personne sexuée mais de présence indubitable, agréable.

Et puis, à sept mois, cela c'est très, très manifeste, il y eut une lutte. J'ai eu des grossesses absolument sans aucun problème, mais il y avait une lutte psychique; c'est: « J'en ai marre de ce que tu fais... repose-toi », quelque chose comme ça... parce que je travaille, je travaille, je suis très active, mais le bébé demandait du repos. Et puis moi, j'aurais bien continué, mais je sentais (ce n'est pas une parole), je sentais: « Il faut que tu te reposes. »

Ce n'était pas mon corps qui parlait, parce que mon corps... j'ai beaucoup de réserves! Mais il y avait quelqu'un qui n'avait pas les mêmes réserves que moi et qui voulait que je me repose. Et je me suis dit que, certainement, des menaces d'accouchement prématuré vers sept mois pouvaient être liées à la « non-écoute » des besoins de cet enfant.

Je peux vous dire que c'était pendant la guerre; j'ai eu mes deux premiers pendant la guerre, pour le premier je circulais à vélo, et j'ai fait de la moto pour le deuxième jusqu'à la veille de l'accouchement. De la petite moto; je posais mon ventre sur le réservoir, et vogue la galère! Ce n'était pas une fatigue physique, c'était une fatigue d'ordre général; je le sentais dans moi, et moi je n'étais fatiguée ni de ma tête ni de mon corps.

C'est peut-être pour cela que mon fils, le second, aime tant les moteurs. Ça m'a beaucoup arrangée de faire de la moto parce que, pour le premier, je faisais de la bicyclette, alors là, qu'est-ce qu'il pouvait s'agiter, à partir de sept mois! C'était étonnant dans la montée de la rue Saint-Jacques. (J'habite rue Saint-Jacques et vraiment c'est une montée, la rue Saint-Jacques!)

Je peinais, et ça rouspétait dans mon ventre, et plus ça gesticulait, plus ça me fatiguait... Alors, je lui parlais, et je lui disais: « Ecoute, je t'en prie, nous n'y arriverons pas... (Rires dans la salle.) Tiens-toi tranquille, ne gesticule pas, et je vais y arriver, sinon je n'y arriverai pas... je suis fatiguée, et tu as besoin, comme moi, de te reposer.

Bon, immédiatement, ça s'arrêtait. Quand je descendais de mon vélo, arrivant à la porte, je disais: « Maintenant tu peux y aller »... et ça se mettait à gesticuler... la rumba là-dedans... la rumba c'est l'aîné d'ailleurs. Mais il s'était arrêté à ma parole. Quant à la voix du père, pour tous les bébés, étonnante la réceptivité! La voix du père, immédiatement, arrêtait le mouvement, et le mettait à l'écoute.

C'est très étonnant ces expériences. Mais je ne peux vous parler que des miennes qui sont tout à fait sujettes à caution, comme toutes les choses où il y a projection... toujours de l'hystérie... toutes les femmes ne le sont-elles pas? Alors, je ne sais pas la valeur de mon témoignage. Je ne peux pas vous parler des relations mère-enfant avant la naissance. Il y a des gens qui peuvent les entendre, de quelqu'un qui les dirait, mais qui?

Réfléchissez tous, vous pères, quand vous et votre femme attendez des bébés, à l'impact de votre voix et de votre dire à vos enfants, je crois que c'est très important qu'on multiplie ces témoignages.

L'écoute de l’accoucheur

Roger de Lirzin: Je voudrais simplement ajouter quelques remarques à ce que vous avez dit.

On a l'impression qu'il y a pendant la grossesse une sorte de processus d'incubation. Ce processus est nécessaire. La femme ne peut en faire l'économie. Il m'a semblé qu'un certain nombre de menaces d'accouchements prématurés pouvaient se produire parce que cette incubation manquait. Ce qui m'a beaucoup frappé, c'est qu'en écoutant ces femmes, chose que je me suis attaché à faire, il y a ainsi beaucoup de fantasmes qui ressortent.

Elles parlent d'une façon extrêmement importante de leur père, de leur mère, mais surtout de leur père. Elles ont d'autre part des tas de fantasmes d'enfants morts ou malformés, etc. On est surpris de voir la facilité avec laquelle ces fantasmes sortent pendant la grossesse puis s'évaporent à partir du moment où elles en ont parlé. C'est vraiment extrêmement fréquent.

Quand je m'étais un peu aventuré dans ce domaine, j'en ai parlé devant des personnes versées dans la psychanalyse et la psychologie, et je m'étais fait agresser. C'était du style: « Jeune imprudent, vous ne savez pas dans quoi vous vous embarquez, la grossesse, c'est quelque chose de très particulier; la femme n'a pas de défense, elle est très vulnérable.» En réalité, on est frappé de voir que par cette approche et cette écoute, un certain nombre de menaces d'avortements, de menaces d'accouchements prématurés « s'évaporent».

C'est la même chose pour bien des problèmes de dépassement de terme qui peuvent ainsi se résoudre. J'ai à ce sujet une histoire très significative: il s'agit d'une enseignante qui attendait son deuxième enfant. La première grossesse s'était bien passée. Sa mère était là, m'a-t-elle dit. Pour la deuxième elle dépasse son terme. Je la vois arriver un peu fatiguée, un peu déprimée. Je me dis que quelque chose ne va pas. Je l'examine, je l'amnioscope, tout allait bien. Puis je l'écoute un peu.

Manifestement ce n'était pas comme l'autre fois. D'habitude elle était pleine de tonus, elle m'explique: « Je ne sais pas pourquoi, actuellement je suis fatiguée, déprimée. Ma mère n 'est pas là et puis, je veux vous le dire, je fais des rêves idiots: je passe mon temps à rêver que par exemple je suis sur les genoux de mon inspecteur d'académie, un peu comme si c'était mon père. »

Puis elle ajoute: «Bon, pendant que j'y suis, je vais vous raconter un rêve que j’ai fait où j'étais ici en salle de travail, je ne voulais pas accoucher, il n'y avait rien à faire, et vous étiez là en train de m'engueuler, excusez-moi l'expression qui n'est pas très académique. » Je n'ai rien dit.

Quarante-huit heures après je l'ai revue pour une autre amnioscopie. Elle reparle encore un peu de ses autres rêves, de ses fantasmes. La troisième fois je la vois revenir avec un œil totalement différent. Manifestement, quelque chose s 'était passé. Elle me dit en s'excusant: « Je suis très gênée de vous avoir raconté tout ça. Mais, après tout, je vais vous dire aussi que cette nuit-là j'ai encore fait un autre rêve.

Il était aussi extraordinaire, mais c'était l'inverse. J'étais ici en salle de travail. C'était merveilleux, tout se passait merveilleusement bien, l'accouchement allait très vite, et puis vous étiez là aussi, en train de sortir l'enfant; tout était calme, tout était serein. J'avais l'impression que l'enfant sortait de l'eau et de moi-même en même temps. Vraiment c'était extraordinaire. »

Je dois dire que ça n'a pas tardé. La nuit suivante elle s'est dilatée en une heure et demie et a accouché « comme une fleur». Ce qui me frappe en outre dans l'affaire, c'est que depuis elle a beaucoup changé dans son comportement. Elle a métabolisé, très vite, un certain nombre de problèmes personnels.

Quand je l'ai revue, plus tard, en suites de couches puis à l'examen postnatal, elle me l'a confirmé: « Maintenant je ne suis plus du tout la même, je suis différente. » Puis, avec un demi-clin d'oeil, avec quelque chose d'un peu complice, elle ajoute: « Ce qui a tout changé, c'est l'eau. »

Ce qui m'a frappé dans l'affaire, c'est de voir comment cette femme avait liquidé une fixation à son père par une démarche qui s'est déroulée à une allure étonnante. J'en ai été absolument abasourdi. Elle disait au passage: « Dans ce rêve, c'est un peu comme si vous étiez mon père. » Ce qui pose la question de savoir comment est perçu l'accoucheur. Mais une autre question peut se poser.

Au début de cette matinée, vous avez évoqué le problème des enfants perturbés. Ce sont des enfants qui souffrent, et qui souffrent d'une façon effroyable. Alors comment prévenir? Comment arriver à empêcher cela? Je me demande dans quelle mesure on peut arriver à prévenir un certain nombre de ces troubles, en donnant à la femme la possibilité de verbaliser. Il ne s 'agit pas ici de petites recettes stupides, dont on nous abreuve un peu trop en ce moment.

Il s 'agit de lui donner droit à la parole. Je suis frappé constamment, quotidiennement, parce que j'ai été amené a m’orienter de plus en plus vers ces problèmes, de voir combien de situations extrêmement angoissantes se débloquaient, tout simplement parce que les femmes en parlaient. Je pense qu'actuellement le besoin de tout ça se ressent énormément à travers toutes ces histoires Leboyer.

Mais j'ai bien peur que cette intuition sous-jacente qui est profondément juste, cette relation mère-enfant, malheureusement à travers tout ce qui se dit et se fait maintenant, ne se ramène encore à une vague série de petits trucs qui vont malheureusement tout faire déconsidérer.

F.D.: Vous avez absolument raison et c'est pour ça qu'il faut que, en même temps que nous donnons l'information, en même temps nous sachions que c'est chaque fois autre, et que ce n'est que par l'écoute que nous pouvons aider quelqu'un. Seulement, pour pouvoir écouter, il faut savoir que ce n'est pas dangereux, alors que même des psychanalystes vous disaient que c'était dangereux.

Eh bien non, cela ne l'est pas pour la patiente. Cela peut l'être pour le médecin s'il prend ce qui lui est dit pour lui, alors qu'il s'agit de fantasmes où son image sert de support à des émois concernant une relation passée de la patiente.

R. LE L.: Et en plus de ça, il y avait peut-être quelque chose qui intervenait, c'est qu'ils avaient l'air de dire que je m avançais dans un domaine qui n'était absolument pas le mien.

F.D. : Mais aucun psychanalyste n'aurait entendu ce que vous avez entendu, parce que vous n'étiez pas dans la même situation. Il s'agissait du corps, vous aviez affaire à l' «académie» de cette femme en effet, et vous étiez l'inspecteur de l'état de son académie, par rapport à l'académie d'un nouveau, qui allait naître.

C'est sûrement important ce mot qu'elle vous a dit, pour une femme qui avait eu des maîtres dans la parole, car dans l'enseignement c'est la parole qui est porteuse du savoir; ce ne sont pas des comportements physiques, c'est la parole. Et alors elle était là dans quelque chose que jamais, à l'école, on ne lui avait enseigné.

On ne lui avait jamais appris ce que son corps était, ce que je trouve dommage. On n'enseigne pas à l'école la connaissance et l'hygiène du corps aux enfants.

R. LE L.: Vous avez énormément insisté ce matin sur le problème de la parole, du « dire », et de l'écoute: donner à la femme la possibilité de « dire ». Ce qui m'inquiète un peu c'est qu'actuellement, dans la « naissance nouvelle vague », telle qu'on nous la présente, il n'y a pas le « dire », et ça, c'est grave! Il n'y a pas temps ni espace pour se parler.

F.D.: Oui, c'est vrai, vous avez tout à fait raison.

B.T.: Ce que nous découvrons dans ces journées, c'est ce « dire », cette écoute; ce n'est pas le problème du seul spécialiste, c'est le problème de tout être humain présent, avec son cœur, et ses oreilles, et sa technicité. Sages femmes ou obstétriciens, ce sont essentiellement des êtres humains, dans une relation vivante. Pendant sa grossesse, la femme est parachutée au cœur de tous ses conflits, parce que, en elle, résonne toute son enfance.

Elle ne viendra peut-être jamais sur nos divans, mais il est extraordinairement important que des êtres humains l'écoutent. Qu'ils ne puissent peut-être pas rendre compte, rationnellement, de tout ce qui s'est passé, ce n'est pas ce qui importe. L'essentiel n'est pas de théoriser mais de vivre...

C'est pourquoi je m'étonne que des psychanalystes s'offusquent de votre écoute. J'ai, pendant des années, écouté des femmes enceintes et cette écoute me paraissait indispensable. Dans toutes les maternités, l'accueil des femmes enceintes devrait aller de pair avec celui des nouveau-nés: il n'y a rien là d'inconciliable.

Pulsion de mort - Pulsion de meurtre

LE L.: Un autre exemple encore dans ce domaine: une femme qu'on avait hospitalisée dans le service et qui avait une vague menace d'accouchement prématuré. Elle n'allait pas bien: elle pleurait, et puis, ce gosse elle n'en voulait pas. Je lui ai donné un peu l'occasion de parler: elle me dit qu'auparavant, pour ses autres enfants ça allait très bien, elle avait été très maternelle. Puis, tout d'un coup, cet enfant elle ne pouvait plus le supporter. Et les autres non plus, en général, y compris son mari.

Et petit à petit, à travers trois entretiens qui ont eu lieu cette semaine, elle était en train de découvrir, en elle, une espèce de pulsion qu'elle ne comprenait absolument pas, une force disait-elle. Elle ne savait pas d'où ça venait. Elle ne comprenait pas du tout ce qu'il y avait et qui faisait qu'elle haïssait cet enfant. Il me semblait très important de lui donner l'occasion de le dire. On avait l'impression qu'elle était en train de découvrir la pulsion de mort.

F.D. Il s'agissait de pulsion de meurtre: ce n'est pas la pulsion de mort; il ne faut pas confondre, ce n'est pas du tout la même chose. La pulsion de mort, nous avons tous à nous y livrer, pour entrer dans le sommeil. Ce qui fait la plupart des insomnies, la peur de se livrer à la sécurité de la pulsion de mort. Libération du sujet du désir qui s'absentéise du conditionnement du Moi, et qui de ce fait, laisse le corps vivre végétativement ce qu'il a à vivre, sans qu'il y ait participation de la conscience.

D'ailleurs, au cours des insomnies, les préoccupations de désirs fantasmatiques subjuguent l'imaginaire et angoissent l'insomniaque. La pulsion de « meurtre », c'est tout à fait différent, c'est une pulsion active émissive, offensive, qui vise parfois jusqu'à la destruction de l'autre: « il me prend mon air », je ne peux pas le sentir», « rien qu'à le voir je me sens retourné »...

Ça n'est pas assez connu; on confond tout le temps. Quand Freud l'a découverte, il a lui aussi confondu la pulsion de mort et la pulsion de meurtre. La pulsion de mort peut d'ailleurs, par l'angoisse qu'elle provoque, réveiller des pulsions de meurtre allant jusqu'à l'autodestruction, le suicide.

Il y a des gens qui se suicident, par exemple, qui, à défaut de cible, se retournent sur le corps, lieu du Moi, ce qui mène le sujet au suicide pour ne pas tomber dans la pulsion de mort, ressentie faiblesse. Par haine de ce corps qui, pour eux, leur échapperait; ils veulent le garder, narcissiquement dans le non-échange avec les autres et, pour le garder, comme c'est ambivalent, en même temps, ils se le gardent imaginairement et agissent pour le détruire dans un désir de se refuser au désir. Ce n'est donc pas la même chose, je me permets d'insister sur ce point.

Accepter de céder aux pulsions de mort est très salutaire à la santé, alors que nos pulsions de meurtre, si elles ne sont pas destructrices de l'autre, sont tellement condamnées, par nos pensées surmoïques pré-conscientes et conscientes, que nous nous interdisons de les dire, parfois de les penser. Nous les refoulons et c'est alors que s'installe la dépression mortifère passive et parfois impulsivement suicidaire. La haine est une des choses que nous arrivons difficilement à dire; nous vivons avec des émois indicibles qui de ce fait prennent une partie de notre image du corps comme cible à la place de quelqu'un d'autre. D'où les spasmes, les crises de foie, et toutes ces autodestructions psychosomatiques qui sont, à l'origine, une défense contre les pulsions de mort qui, nécessaires et saines, apportent le repos du sujet, un temps d'oubli du temps et des objets de la réalité.

Cette haine, dont vous parliez, est apparue chez cette femme, peut-être plus fatigable parce qu'elle avait d'autres enfants. Les enfants aînés jouent un grand rôle dans la façon dont une grossesse se passe: eux ne veulent pas de cet enfant, le plus souvent. Quand vous êtes à l'écoute, comme ça, d'une femme enceinte, faites-lui aussi parler des réactions de ses aînés, des aînés œdipiens surtout qui sont en difficulté.

La mère boit cette angoisse qui ne peut pas se dire, l'angoisse d'un enfant qui se sent coupable de haïr. Si on peut lui dire, à cet enfant - on le met en paroles: Mais tu n'as aucun besoin d'aimer cet enfant, tu peux tout à fait le détester, toi, tu n'es pas son père, tu n'es pas sa mère.

Il a son père et sa mère », immédiatement, on soulage la réaction de haine de cet aîné contre le fruit que porte sa mère, parce que ça a été dit en mots et qu'il a été soulagé de sa culpabilité de détester ce futur qui n'est pas de lui et n'a aucun besoin de lui, et c'est vrai. Mais à cause d'une des composantes de l’œdipe qui est de s'identifier à l'adulte, l'enfant croit qu'il doit lui aussi attendre avec joie ce nouveau rival.

D.R. À propos de l'écoute, hier on a un petit peu escamoté un problème, et vous le reprenez là. Je crois que c'est important en effet de dire que ce n'est pas dangereux d'écouter les futures mères. Ce n'est pas dangereux pour elles, mais il y a beaucoup de médecins qui le perçoivent comme dangereux pour eux-mêmes, et qui n'y arrivent pas. Peut-être faut-il le respecter, mais peut-être faut-il en parler?

M.-M.C. Il faut souligner, dans ce cas, que c'était la « bonne personne ». Elle parlait à «son » accoucheur qui acceptait de recevoir cette parole, plutôt que de parler à quelqu'un d'autre, à un « spécialiste psy». Ça aussi c'est important.

F.D.: La personne adéquate, vous voulez dire, la personne idoine. La personne idoine à ce moment, c'est l'accoucheur, certainement.

R. LE L.: Ce qui est frappant, c'est qu'on dirait que nous avons une place un petit peu à part; on dirait qu'il y a quelque chose qui ne peut s'adresser qu'a nous, et d'ailleurs très transitoirement. Ces femmes nous parlent, c'est un processus souvent assez intense, mais momentané, transitoire.

Nous n'avons pas un rôle de psychanalyste; que nous puissions utiliser certains aspects de l'approche psychanalytique, d'accord, mais ce n'est pas la même chose. il y a quelque chose de spécifique qui demande à être creusé.

B.T. En ce cas, on est choisi. Ce n'est pas simplement l'obstétricien qui dit: « Je l'écoute»; c'est cette femme qui parle et dit: « Tiens, après tout, j’ai encore quelque chose à vous dire... et puis pourquoi ne vous dirais je pas encore ça... » Elle aurait pu choisir une sage femme. Certaines femmes ont besoin de parler à une femme, certaines à un homme.

L' « inspecteur d'académie », cela devrait représenter quelque chose pour elle...

F.D. : Oui, et elle s'excuse après d'avoir prononcé le mot « engueuler », « ce n'est pas très académique »

 


Texto de F. Dolto en Sospsy.com

 

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