Heures et jours qui suivent l'accouchement

(2e partie) Les effets de la parole

 

Françoise Dolto

 

 

Si nous racontons aux tout petits enfants leur histoire vraie, nous les en guérissons. J'en ai pour preuve les enfants tout petits, les enfants de l'A.P., qui viennent à Trousseau, enfants du centre d'adoption, qui sont abandonnés: le peu qu'on sait de leur histoire, et surtout le fait de leur abandon, le fait qu'ils ont vu à telle date, pour la dernière fois, leur mère, pour la dernière fois, leur père, leur est dit en les remettant dans l'ensemble des mots qui recouvrent l'espace, le lieu, la saison, l'époque, tout ce qui peut faire vérité dans ce qui leur est dit.

Et cet enfant, qui refuse de manger, qui est lové sur lui-même et qui veut mourir, retrouve le regard qui plonge dans votre regard pendant que vous lui parlez de son désir de mourir; et il regarde sa berceuse qu'il n'avait pas regardée pendant je ne sais plus combien de temps. Il rentre à la pouponnière, et il mange. Il mange une nourriture régressive, par rapport à son âge, mais, en quelques jours, il redémarre son développement depuis l'âge de son épreuve jusqu'à son âge d'aujourd'hui.

Ce qui bouleverse d'ailleurs tellement les berceuses! L'une m'a dit: «Moi, je ne peux pas venir, je vomis tout l'après-midi de vous avoir entendue parler comme ça; on n'a pas idée de parler comme ça à un tout-petit, on ne lui dit pas des choses comme ça; lui dire des choses sur son père, sur sa mère qu'il a eus, qu'il a connus, sur son désespoir d'avoir été abandonné par eux, et qu'ils ne reviendront jamais, et parler de la mort à un enfant! »

D'ailleurs, ce désespoir n'arrive pas quand ils perdent le dernier lien à la visite de leur mère, mais quand la berceuse qui a vu leur mère les quitte. Elle change de groupe, il la perd, et il perd quelquefois plus encore; c'est arrivé, quand il y a rencontre de pertes: en même temps qu'il perd cette berceuse (qui a parlé avec sa mère lorsqu'elle était venue et donc faisait situation triangulaire avec lui), il perd un ou deux des petits qui l'entouraient dans le groupe où il était. Son espace humain en est transformé. Tout ça réuni, il ne peut pas...

Il ne peut pas survivre à ce rester tout seul. S'il y a encore un lien médiateur, un relais, il peut supporter l'absence. Je crois qu'il y en a beaucoup qui sont touchés, comme ça, du changement de berceuse, surtout du changement de berceuse dont on ne les prévient pas: un beau jour, sans avoir parlé à leur personne, quel que soit leur âge, la berceuse change, on ne leur dît pas pourquoi.

Et puis, si en même temps il se trouve que le lit d'à côté et un autre lit sont vides, et qu'on met n'importe quel nouveau bébé (sans les avoir prévenus, d'ailleurs), et qu'il faut continuer à appeler tout le monde du même nom, ça n'est pas possible. Ces enfants tombent dans un « incognito » par rapport à eux-mêmes. C'est la perte du sentiment d'exister en croisement d'espace-temps, relié à son image du corps.

Ils entrent dans la psychose, la psychose où domine ce qu'on appelle, en psychanalyse, la pulsion de mort, ce qui ne veut pas du tout dire une libido qui se retourne sur l'individu pour le détruire; non, c'est une libido sans objet et sans sujet, qui s'éparpille comme ça, par manque de désir et d'amarre pour lui, le sujet, perdu Finalement, il s'épuise de n'avoir pas de rencontre faisant écho à ce qu'il éprouve, et qui lui rende cohérence - sens à vivre. Ce qui ne se peut que par un dire vrai par un être crédible pour lui sur ce qu'il éprouve.

Les pulsions de mort, c'est l'individu qui est sans relation avec le monde extérieur: le sujet meurt de n'avoir pas de relation. Le corps vivrait bien, mais il ne peut plus rien, quand c'est trop précoce dans la vie; il ne peut plus vivre parce qu'il n'a pas été construit « complet ».

Les pulsions de mort, chez quelqu'un de six ou sept ans, ça peut très bien se vivre avec, au maximum, de la narcolepsie; mais chez un bébé, ça ne peut pas se vivre, parce qu'il n'existe pas encore, si l'autre, qui le connaît, ne le fait pas se reconnaître jusqu'au moment où il est structuré oedipien, c'est-à-dire dans ses pulsions génitales; les pulsions de mort, chez un bébé, c'est comme s'il se détruisait.

S'il ne se détruit pas, il est détruit par l'absence de possibilité de s'incarner davantage. Il est déraciné, et il meurt, par perte d'appétit, de péristaltisme. L'angoisse en augmentant le rend insomniaque, puis anorexique, dépressif.

Mais la parole, c'est ça qui est incroyable, c'est la « parole vraie » qui peut, par l'imaginaire probablement, restituer sa structure symbolique, dans la vérité de la relation à qui lui parle de lui, de ce qu'il souffre, de son histoire.

Bien sûr, ça ne pourrait pas être une bande magnétique qui lui dirait son histoire, il faut que ça soit dans une relation et pas seulement dans une relation à lui, mais dans une relation triangulaire, c'est-à-dire une relation à lui en même temps qu’a une autre personne, celle qui actuellement donne des soins à son corps et écoute; que ce soit cette personne ou que ce soit une autre de son entourage nourricier, par exemple si sa berceuse dit: « Moi je peux pas écouter Mme Dolto, ça me fait vomir tout l'après-midi. Alors, j'envoie la petite stagiaire. »

Pourquoi pas la petite stagiaire? Je dis à l'enfant: « Elle remplace Taty Truc, parce que Taty Truc, ça la rend malade ce que je te dis, mais elle est très contente que je te soigne puisque tu vas mieux, et la petite stagiaire, tu vois, elle, ça ne la rend pas malade, et elle est très contente que je te dise tout ça... »

Toutes les personnes sont les médiatrices d'une autre plus importante: celle qui l'aimait tellement (mais dans son estomac), que lorsqu'on parle à son « nourrisson », en lui parlant vrai, ce qu'elle n'aurait pas pu faire, elle en vomit (elle renvoie le bébé avec l'eau du bain), ce qui ne l'empêche pas d'être très gentille avec lui pour les soins maternels. Une fois qu'elle a vomi, elle va d'ailleurs beaucoup mieux. Il y a beaucoup de façons d'être maternelle.

C'est très bien que les berceuses aiment avec leur estomac, et qu'elles avalent leurs enfants, puisque les enfants sont en âge d'avaler la personne. Pourquoi pas, quand ils vont bien? Ils en verront d'autres, et puis, il faudra bien qu'ils se détachent d'elles, et qu'elles s'attachent à d'autres. C'est ça la vie des bébés, qui passent de main en main, mais ça ne fait pas toujours des enfants autistes; ça ne fait pas toujours des enfants qui veulent mourir.

Il y a tout un système de signifiants qui se passe: ils n'ont plus de quoi vivre, alors que cette personne donne de plus en plus de quoi vivre; mais bien qu'elle donne de plus en plus de quoi vivre, comme en même temps elle ne donne pas des paroles, ça ne peut pas les soutenir en cas de grande épreuve.

Bien sûr, il y a des enfants qui sont plus sensibles que d'autres; je crois que, dès l'origine, le capital humain est ainsi fait qu'il y a des enfants qui vont pouvoir supporter des épreuves psychiques en se rattrapant sur la bouffe, qui pour eux est signifiante de la relation, corps à corps, avec cette personne; mais il y a des êtres humains déjà différenciés mentalement.

Ils ont tous besoin de relation émotionnelle et de paroles, mais il y en a qui y sont plus sensibles; nous voyons cela chez les bébés très tôt. C'est cela que je voulais vous dire en vous racontant l'histoire de ce petit schizophrène, que j'ai vu longiligne et fin, une peau d'une sensibilité formidable.

Bien sûr, ça n'arrive pas a n importe qui; son frère adopté, que j'ai vu, était un bon pycnique brun, avec une bonne peau très solide, pas du tout fine. Et simplement, il avait fait pipi au lit jusqu'à cinq ou six ans - ça arrive aussi dans les familles où les enfants ne sont pas adoptés - et puis il réussissait bien. C'est pour vous dire que chaque enfant a son capital spécifique, dont le psychisme est certainement la métaphore de ce que nous voyons de physiologique, ce que nous pouvons appréhender par sa typologie première.

La sensibilité de sa peau, les réactions du regard, la rapidité de perception, la discrimination sensorielle, olfactive, auditive, gustative, tactile, enfin toutes ces choses qu'on peut observer, extrêmement tôt chez les bébés et qui sont constitutives de leur personnalité potentielle. Voilà ces deux histoires: la dernière pour vous montrer ce qu'un garçon avait porté toute sa vie, parce que l'on n'avait pas dit ce qui s'était passé au début.

Dans ce qui suit, F. Dolto répond désormais aux questions qui lui sont adressées par son auditoire.

Marie-Madeleine Chatel: Peut-on vous demander de préciser ce qui vous donne la conviction qu'on peut parler de cette façon à l'enfant?

Françoise Dolto : Ce qui me donne cette conviction, c'est l'effet de cette parole, l'expérience des effets de cette parole. Au début, c'est d'ailleurs comme ça que je suis venue à la psychanalyse des enfants; à l'époque on n'enseignait que la psychanalyse d'adultes, et nous nous comportions avec les enfants exactement comme avec les adultes. Au début, il n'y avait pas de « play-thérapie », Il n'y avait rien du tout. C'était une table, et non pas un divan pour l'enfant: il n'était pas allongé. Et voilà: «Si tu es embêté et si tu veux parler, tout ce que tu veux dire, tu peux le dire avec des mots, avec un dessin, avec un modelage, et même en te taisant. Si ça parle dans toi, moi j'écouterai, en me taisant aussi. » C'est tout.

Et puis, les enfants faisaient de la psychanalyse, ils se sortaient de leurs affaires, c'est comme ça que j'ai écrit ma thèse, stupéfiée, vraiment stupéfiée que cette méthode fût si opérationnelle. Comment se fait-il qu'ils guérissent? Qu'est-ce qui s'est passé? Je prenais des notes de ce qui se passait, de ce que j'en percevais, et alors c'est peu à peu qu'ils se transformaient. Après coup je relisais mes notes pour essayer de comprendre le processus de ces transformations.

Avec les petits, c'est pareil; mais il faut dire, aux petits, c'est la différence; il faut du déclaratif, pour les petits, du déclaratif de ce que les parents nous disent. C'est une chose étonnante, qu'une « bande magnétique » remonte, comme ça, chez un enfant; il ne l'avait pas intégré avec son Intellect mais il a pu le verbaliser; et il a fallu tout ce travail préalable avant de comprendre de quoi il s'agissait.

Marie-Claire Busnel: Je voudrais vous demander une précision. Quand vous dites: « Il faut leur parler de...», c'est à des enfants de quel âge?

F.D: Je ne sais pas... huit jours... quinze jours... à la naissance... Par exemple, l'enfant qui ne peut plus téter sa mère, la soi-disant anorexie du nouveau-né...

Bien sûr, c'est dans les bras de sa mère, c'est dans une situation triangulaire, mais tout ce que la mère dit, je le redis à la personne de l'enfant. La mère disant: « Mais, vous pensez bien, il ne comprend pas, pourquoi lui parlez-vous?... »

J'ai parlé avec des pédiatres, qui travaillent maintenant avec moi, et qui ont essayé ce qu'ils ont cru au début être un truc, en se disant: « Elle est complètement farfelue, mais on va essayer... pourquoi pas?... »

Et alors, surprise, chaque fois qu'ils parlent à la personne de l'enfant, lui disant ce que la mère vient de dire, au lieu de parler de l'enfant, avec la mère, sans s'adresser à lui personnellement, il y a une transformation complète des rapports de ces médecins à ces bébés. Il n'est jamais trop tôt pour parler à un être humain.

C'est un être de parole, dès la vie fœtale, et moi, je comprendrais très bien qu'une mère et un père parlent à la personne du fœtus qui est dans l'utérus de la mère. Peut-être, c'est un fantasme chez eux, peut-être... En tout cas, l'effet de cette parole est tel que c'est nécessairement une parole de psychanalyste... c'est-à-dire véridique.

Enfin, maintenant qu'à France-Inter, vous le savez, je fais ces émissions, combien de lettres sont venues confirmer la stupéfaction des parents qui se sont dit: « On va tout de même essayer.» Par exemple: l'insomnie d'un enfant, c'est grave. Tout un immeuble en résonne. On le berce, on le secoue, on le tape, on le drogue...

Oui, il faut voir les complications de la vie, ce que ça peut faire un enfant qui crie toute la nuit, le père qui travaille, la mère qui travaille, ils sont obligés de le bercer toute la nuit pour que les voisins ne les flanquent pas à la porte. Quelle fatigue! Alors, ils disent: « On peut toujours essayer de faire ce qu'elle dit: ça ne peut pas faire de mal. » Et résultat: l'enfant se met à dormir tranquillement parce que la vérité lui est dite; on lui a dit de quoi il souffrait, il voulait dire quelque chose en criant et en dérangeant ses parents, on a su reconnaître son désir, il est sécurisé.

Qui que nous soyons, je crois qu'à notre naissance nous sommes dix fois plus intelligents qu'à l'âge où nous croyons l'être, à vingt ans... Nous avons tous en nous l'intelligence; après, elle se distribue sur de multiples désirs, intérêts. Enfin, c'est comme une partie d'échecs, tout est possible au départ, et puis en cours de partie, il n'y a déjà plus beaucoup de pions: il faut vraiment veiller au grain pour qu'on aille un peu plus loin, et gagner la partie, surtout si l'adversaire, en face, est malin.

C'est ça, cette parole : jamais trop tôt pour « parler vrai »

Ce qui est arrivé à cet enfant, ou ce que quelqu'un nous dit de lui. On vous dit quelque chose devant l'enfant, il faut reprendre : « Tu entends, ton père dit ça, mais toi peut-être as-tu vécu cet événement autrement que lui le dit. » Parler à sa personne, en lui laissant la place pour une réponse que nous n'entendons pas puisqu'il n'a pas la parole pour parler, mais qu'en désir il émettra, en réponse non audible, mais le désir et le sujet sont là.

Appelé à l'être, il se structure, se construit, conscient enfin, comment dire: cohésif; je voudrais dire plutôt cohésif avec lui-même, et accueilli humain, accueilli « être de parole », en filigrane, parole qui ne peut pas encore être dite puisqu'il n'a pas l'appareil émetteur de parole, larynx et muscles coordonnés de la bouche; mais il s'exprime, et d'ailleurs beaucoup de choses que nous disent les mères sont des choses que des enfants sentent, et les choses que les enfants sentent et signifient sont des choses que la mère sent.

Il y a une communication, mais on oublie que l'enfant a aussi son mot à dire, en tout cas à penser, et qu'il est un interlocuteur silencieux mais réceptif, aussi valable que nous-mêmes.

On sait déjà que l'enfant est « dans le désir de ses parents », c'est presque devenu la tarte à la crème. Mais ce que l'on ne sait pas, c'est que l'enfant a lui-même son désir propre qu'il veut nous manifester, et que la seule manière de le reconnaître sujet c'est de parler à sa personne, et de lui laisser un temps de réponse que nous écoutons avec notre cœur, avec notre peau, avec... et puis: « Oui, ben oui, tu as raison.

Tu es malheureux, nous ne pouvons pas faire autrement, ta maman est obligée de travailler, moi je suis obligé de dormir, et tu es très, très malheureux, mais nous ne te reprendrons pas dans notre lit, ta mère ne te reprendra pas dans ses bras. Il faut que tu dormes. » Cela dit, en même temps qu'on reconnaît la souffrance de l'enfant, il « se retrouve»; voilà comment je peux vous répondre...

De même, quand un enfant est devenu complètement patraque depuis quelque temps après la mort de la grand-mère maternelle, ou du grand frère... tout ça, ce sont des réponses, des témoignages que je reçois, à France-Inter. Je le savais déjà, mais pas sur une si grande échelle, et avec des gens qui ne sont pas du tout en psychanalyse, avec le « tout-venant » de la vie quotidienne. Et les témoignages:

Cet enfant qui était complètement patraque va beaucoup mieux depuis que je lui ai dit la vérité, que sa grand-mère était morte et que j'avais eu beaucoup de peine, et que j'avais cru qu'il était trop petit. » (Il faut toujours réparer comme ça: « J'avais pensé que tu étais trop petit pour qu'on te le dise, mais je vois maintenant que tu es assez grand.»)

Il faut parler de la peine que toute la famille a eue, de sa peine à lui, et aussi parler de cette mort si l'enfant en parle, on lui dit la vérité et puis, quinze jours, trois semaines après, l'enfant qui a paru ne rien entendre parle de la mort de sa grand-mère, demande des explications... et les parents répondent ce qu'ils savent, ou disent qu'ils ne savent pas. Et quand ils ne savent pas, ils disent:

« Je ne sais pas.

- Et alors, moi j'ai peur de mourir...

- Tout le monde a peur de mourir, pas seulement toi. »

On dit la vérité, au lieu de s'angoisser de ce que dit l'enfant, et la patraquerie disparaît, tout rentre dans l'ordre. Il est un interlocuteur à qui on a dit la vérité, à des questions que lui se posait sur des choses et qu'on évitait de lui faire savoir, pour soi-disant ne pas le traumatiser. Mais on traumatise par le silence, on traumatise par le non-dit beaucoup plus que par le dit. Entre le non-dit et le dit, même d'une chose gravissime, il vaut mieux dire la chose gravissime. Et la chose qui va peut-être faire énormément de peine à l'enfant, il faut la dire...

Quand les parents s'en vont, sans rien dire, ça laisse des séquelles dans la vie de l'enfant et, dans l'avenir, l'abandonnisme, alors qu'ils n'ont jamais été abandonnés, l'abondonnisme grave, comme névrose, chez des enfants dont les parents, très attentifs pourtant, partaient toujours pendant qu'ils dormaient pour qu'ils ne pleurent pas de leur départ, quand ils étaient obligés de les laisser à quelqu'un. Ça fait des névroses gravissimes d'abandon, beaucoup plus que chez l'enfant qui sait qu'il a été abandonné, réellement, légalement.

La névrose d'abandon vient du « non-dit » de ce qui est fantasmé par les parents comme abandon, et qu'ils supposent trop pénible à supporter, qu'il faut lui éviter. Vous voyez, là, c'est difficile à penser pour des gens qui se disent: « Mais non, l'abandon, c'est une mère qui a lâché son enfant, qui a été adopté, ou qui est dans une maison de l'Assistance publique toute sa vie. » Pas du tout. Ceux-là ne font pas de l'abandonnisme. Ils font parfois des réactions paranoïaques, ils ont parfois des impossibilités à être parents de leurs enfants, mais ils ne font pas de l'abandonnisme.

L'abandonnisme, c'est le fantasme d'abandon, qui n'a pas été dit. Au nom de ce fantasme, les parents ne peuvent pas dire à leur enfant: « Nous te laissons », pour telle ou telle raison, et le laisser brailler, en disant: « Nous ne pouvons pas faire autrement, nous t'aimons beaucoup, mais c est comme ça, mais nous reviendrons à telle heure! »

Et alors des mots étant dits sur la souffrance, ces mots font que cette souffrance est humanisée puisque les parents peuvent la dire et qu'eux n'en souffrent pas trop, puisqu'ils la disent. C'est viable dans la relation d'amour toujours ambivalente des parents et des enfants; le résultat en est du positif, au service de la vie de leur enfant. Et ça, ça doit se passer dans les paroles. Voilà.

Gérard Hardouin : Je vous demande une petite précision concernant l'abandon dans la deuxième histoire: c'est quelques jours après la naissance?

F. D.: C'est quarante-huit heures; à la quarante-huitième heure c'était « engrammé ». Cette femme, je lui ai dit: « Mais vous êtes sûre que vous vous n'en avez parlé à personne? » Elle m'a répondu: « Jamais ce n'est sorti, vous pensez, je n'aurais jamais pu raconter ça, c'était tellement épouvantable. »

Elle avait été tellement bouleversée, c'était la chambre à côté, toute cette clinique avait été bouleversée, et même... elle disait: « Ce petit, je vais lui laisser, je voudrais le lui rendre, une fois... » Cette femme, c'était son premier enfant adopté, elle avait une anomalie anatomique, elle était sans vagin, c'était une femme extrêmement maternelle, au point de vue affectif.

Aussi, il n'y avait pas du tout chez elle - c'est très intéressant d'ailleurs pour la question de l'adoption -,il n'y avait pas du tout chez elle cette revendication de maternité comme chez certaines femmes adoptantes. Elle n'était que reconnaissante aux mères qui n'avaient pu élever leur enfant, et c'était vraiment comme si elle prenait un relais; c'est très rare de voir une mère, à l'évocation du changement de prénom, dire: « Puisque cette petite maman voulait lui donner ce prénom-là, il aura ce prénom-là. »

Et aussi, c'est très rare qu'une femme ait gardé ça pour elle. Et je crois, en effet, ayant connu son mari, qu'il aurait été, lui, le mari, terriblement troublé par une histoire pareille, car, comme elle disait: « Mon mari est un grand sensible. Moi, je n'aurais pas pu lui raconter, c'était trop épouvantable. »

C'est ça que pose comme problème cette « bande enregistrée», enregistrée mais non comprise, puisqu'il ne s'en est pas souvenu du tout. L'ayant dit, c'était fini! Mais fini aussi tout ce qui, avec ces paroles, s'inscrivait d'interdit de pacification de l'individu. On dirait que, quand les choses sont parlées, il ne reste que la paix du corps. Sinon le corps parle, à la place de ce qui ne peut se dire, ce qui aurait à être dit, et qui est anti-vie.

Or, il y avait de l'anti-vie symbolique dans ce qui s'est passé: la grand-mère... Mais, il s'est passé aussi, comme nous l'avons vu dans la conception, une histoire, qui était une histoire oedipienne transférée. L'enfant «incestueux», même par fantasme, est marqué d'interdit dans une civilisation comme la nôtre, comme dans toutes les civilisations.

Mais dans une civilisation où les pulsions sont l'objet de tant de rebondissements (après leur refoulement, et leur symbolisation après refoulement), ce n’est pas possible qu'un enfant fantasmé incestueux au départ, et qui se fantasme lui-même comme incestueux, puisse s'en sortir, si ça ne lui est pas dit, pour que le fantasme, étant mis en paroles et partagé avec une autre personne, soit de ce fait rédimé, par rapport à cette culpabilité inconsciente profonde. «Puisque ça peut se dire en paroles, mon corps n'a plus besoin de jouer l'interdit d'être vivant. »

Bernard This: C'est quand même très difficile à comprendre cette relation entre ce que vivent les parents et ce que l'enfant incarne dans son existence. Je prends un exemple qui me vient à l'esprit.

Une petite fille, pendant la guerre, est cachée dans un trou, au fond d'une cave. Bombardement: ceux qui l'hébergeaient sont tués. Elle sera sauvée. Vingt ans plus tard, elle se marie; un enfant naît, qui ne pensera qu'à se cacher. Et ne parle que de trous, dans les murs, dans la terre, dans sa tête.

Sa mère, en psychothérapie, retrouve le souvenir de cette période cauchemardesque; elle se cogne la tête contre les murs, en hurlant: « Non, non, non! » Séances terribles, angoisse intense. Comment avait-elle pu oublier? L'enfant, qui paraissait débile, en sera transformée: « Je suis en train de sortir du tunnel. » Elle interroge sa mère: « Comment naissent les bébés... et moi... comment je suis née?... »

Ce qui me sidère, ce n'est pas que cette mère ait pu oublier ce qui s'est passé quand elle avait cinq ans, c'est que le refoulé ait pu agir sur l'enfant! Et quand la mère élabore l'angoisse de cet âge, sa fille se libère de ses angoisses à son tour.

Phallisme et réceptivité

Michel Tournaire: Est-ce que ce n'est pas une caractéristique des schizophrènes d'être enfermés...?

F.D. : Question intéressante... Les schizophrènes ne sont pas toujours enfermés dans des trous. Ils sont ou bien trou, ou bien uniquement phallisme. Et c'est justement parce que ça n'est pas croisé au temps de leur histoire dans un espace qu'ils deviennent schizophrènes.

Nous sommes tous à la fois des trous et des protrusions, grâce auxquels nous prenons contact. Les hommes, davantage phalliques, et les femmes davantage trous. A cause de la vie, à partir du moment de la connaissance de la vie génitale. Mais ceci, c'est fonctionnel, du fait des formes de notre corps, et il y a métaphore dans notre psychologie de ces données du corps propre, et du sexe, dans la forme qu'il a, chez l'homme et chez la femme.

Mais le schizophrène, qu'il soit homme ou femme, n'est pas plus l'un que l'autre. Il y a des schizophrènes qui ne sont qu'attaque. Leur corps dans son désir n'est qu'agression , c'est d'ailleurs ceux qu'on est obligé de mettre à l'abri car ils agresseraient, sans sentiment de responsabilité, leur désir irresponsable n'étant que de prendre contact en violence. Finalement, c'est la manière de prendre contact tout d'un coup, d'être un « éjaculant de mort »..., de force, d'énergie s'en allant sur autrui, qui se trouve focaliser leur désir.

Et puis, il y en a d'autres qui désirent attirer ou qui par autrui ne sont qu'attirés. C'est pourquoi on parle de cette homosexualité profonde, passive ou active, des homosexuels des deux sexes.

Mais c'est aussi pour ça que les psychoses puerpérales maternelles peuvent éclore, du fait qu'une femme est réceptrice, devrait n'être que réceptrice. Elle ne devrait rien émettre; le fait d'émettre un enfant, garçon ou fille, est un acte inconsciemment phallique. Le phallus de la femme, c'est son enfant, au moment où il sort de son corps.

Certaines ne peuvent le supporter. C'est un tel problème de contradiction profonde avec leur structure, dans l'affectivité de leur Œdipe, et après, dans leurs relations aux hommes et aux femmes, que le fait de se montrer phallique leur est impossible transgression. Ça les rend « folles ».

J'ai fait l'analyse d'une femme qui ne pouvait pas, absolument pas gester au-delà de trois mois. Elle avait fait plusieurs avortements spontanés au troisième mois sans aucune raison biologique aux dires des médecins qui lui conseillèrent une psychothérapie. C'était une enfant adoptée, ce qu'elle n'avait appris qu'à dix-huit ans dans des circonstances dramatiques.

Tout ce qui est ressorti dans sa psychanalyse, c'est, en effet, que sa mère de naissance n'avait pas pu « la montrer », parce qu'elle était adultérine. Elle avait été cachée jusqu'au moment d'être adoptée à trois mois. Si sa mère n'avait pas pu la montrer, elle ne pouvait pas « montrer » qu'elle était mère. Et tout le problème était là: elle avait beau être une femme féminine, belle, intelligente, elle ne pouvait pas mettre au monde un enfant.

De plus, sa mère adoptive, qu'elle ne savait pas être sa mère adoptive jusqu'à dix-huit ans, lui avait toujours raconté qu'elle avait fait beaucoup de fausses couches avant de l'avoir enfin! Elle ne lui avait pas dit qu'elle l'avait adoptée. Et sa vraie mère, dont elle était le quatrième enfant, mais enfant adultérine, conçue alors que son mari officier était prisonnier, l'avait elle-même confiée au couple adoptant. Ne pas mettre au monde un enfant déjà conçu. Pourquoi? Etait-ce trop phallique pour une fille, entièrement construite en réceptivité féminine?

Vous voyez. C'est intéressant cette question de trou et de phallus dans la dynamique relationnelle, réceptivité et émissivité.

Participant: Je voudrais savoir si ce n'est pas un fantasme d'homme, cet enfant phallus.

F.D. : Eh bien, c'était un des fantasmes de cette femme que j'ai analysée.

Je crois que c'est souvent un fantasme d'homme. Est-ce souvent un fantasme de femme aussi?... Ce n'est pas seulement un fantasme d'homme.

La conservation du fœtus et sa mise au monde, vivant, c'est certainement quelque chose qui ressort du domaine imaginaire émissif, disons du phallisme féminin bien accepté pour son narcissisme. Le corps de la femme est réceptif par son sexe, mais c'est son phallisme féminin que la femme doit assumer pour assumer sa maternité, sans quoi il n'y aurait pas d'être humain sur terre.

Histoire d’un coma en Italie

P.: Comment, d'après ce que vous avez dit, comment peut-on comprendre que le langage « passe », alors qu'il n 'y a pas eu apprentissage du langage?

F.D.: Je ne sais pas! Je ne sais pas, mais je vais vous raconter une histoire: un monsieur très âgé vient me voir pour son petit-fils de seize ans, qui est à orienter, et qui a eu un accident abominable quand il avait huit ans.

Ce monsieur avait une fille, mariée, deux enfants. Partis en vacances en Yougoslavie, dans un village de vacances. Ils reviennent la nuit, en traversant l'Italie. Et c'est l'accident d'auto, épouvantable. La mère est tuée sur le coup, le père ne sort pas du coma et meurt huit jours après. La petite fille qui était couchée sur la banquette arrière n'a rien du tout.

Elle est secouée en dormant et on la ramène tout de suite en France. Les grands-parents sont appelés d'urgence et viennent tout de suite à l'hôpital italien où le garçon de huit ans est hospitalisé: multiples fractures, défoncement de la boîte crânienne, énucléation d'un œil et perte de matière grise. Il est naturellement dans le grand coma, et il y restera, au dire du grand-père, de six semaines à deux mois.

Là-bas, les grands-parents disent combien ils ont été bien reçus: on a installé un lit et le grand-père ou la grand-mère ont pu rester auprès de ce petit garçon, seul survivant avec sa sœur. La grand-mère et le grand-père, ne parlant pas l'italien, se relaient auprès de ce petit garçon en lisant des revues, des journaux. Dans cet hôpital de Novare le personnel soignant était très désireux de faire tout le possible.

On voit les Italiens, affectueux, affectifs... (Les grands-parents ont vu la différence avec les grands hôpitaux de Paris! L'enfant, après sortie du coma, a été hospitalisé un an et demi aux Enfants-Malades pour des plasties. Ils n'ont même pas eu le droit d'entrer dans la chambre. Il a eu beaucoup d'opérations de la face, et il est d'ailleurs magnifiquement arrangé; ils m'ont montré la photo de leur petit fils.)

L'enfant se réveille de son coma au bout de deux mois.... on lui parle, il répond en italien! Il ne sait plus parler français. Il parle italien, mais pas du tout comme un bébé! Il parle italien comme un Italien, j'allais dire comme vous et moi. Quand la grand-mère lui parle français, et qu'il répond quelques mots, il répond avec un langage bébé français: lob, tata, pipi..., enfin des mots tout à fait archaïques. Il comprend ce qu'elle veut dire, mais il répond en italien. En même temps, il nie l'accident. C'est curieux les réactions qu'il a eues. Huit ans: très intelligent en classe, c'était un enfant tout à fait doué.

Il regardait les revues qui se trouvaient là: il les prenait et montrait en parlant italien. « Tu vois: papa est là, maman est là, l'auto est là, elle n'est pas démolie. » A toute allusion à l'accident, il prenait les images en disant: « C'est pas vrai: papa est là, maman est là, la petite sœur... » sur les images publicitaires ou photos de magazines.

Avec le personnel, il parlait l'italien comme un Italien. Quand il est revenu aux Enfants-Malades, il a perdu le peu de mots français qu'il avait gardés, et tout son italien. Il a fallu lui réapprendre à parler, un an après. Il a subi des anesthésies coup sur coup. Il est possible que les anesthésies aient joué pour lui faire perdre ses acquisitions... Alors que, quand il était sorti du coma, c'était un enfant intelligent italien, qui ne parlait plus le français, un an et demi après, dans un hôpital français, c'était un enfant arriéré, qui ne savait plus ni marcher, ni parler sa propre langue, à peine la comprendre.

Il a fallu tout recommencer. Les grands-parents venaient me voir pour que je leur conseille une orientation pour ce garçon qui avait maintenant seize ou dix-sept ans. Il était, en effet, bien arrangé, assez bien de sa personne, mais ne pouvant pas dépasser scolairement une espèce de septième ou sixième. Y avait-il intérêt à continuer les études? Comment l'orienter?

Cet homme, seul à pouvoir élever cet enfant, était très âgé, quatre-vingts ans, avec une femme un peu moins âgée; il était venu parler de ce problème d'orientation pour un enfant qui ne posait aucun problème caractériel et se développait très bien, tant du point de vue social qu'affectif et sexuel, étant donné son âge, sans aucune timidité, ni traumatisme d'abandon de parents. Il avait de bons amis, une jeune fille « petite amie » et s'intéressait aux choses de son âge. Pas de conflit avec sa sœur.

Enfin, c'était tout de même intéressant à savoir, voilà un garçon parfaitement sain sur le plan de la relation humaine. Quant aux grands-parents, je pense que ça a dû les renouveler, parce qu'ils ne m'ont pas du tout paru des gens tassés ni rétros.

Mais revenons à la parole, puisque c'était votre question. Je voyais un réanimateur le soir même où j'avais vu ces grands-parents, et je lui ai demandé des explications. Il m'a expliqué qu'il y a des protéines; on perfuse des protéines au cours des comas, et comme toutes les perceptions se fixent sur des protéines, il y avait des tas de perceptions qui s'étaient fixées sur les protéines de perfusion.

Pourquoi pas, mais pourquoi alors n'était-ce pas de l'italien de « bande magnétique »? « Ce pauvre petit, faut lui mettre sa sonde », je ne sais pas, tout ce qu'on peut dire en italien autour d'un enfant qu'on réanime... « Ah! voilà le tracé qui s'aplatit. Ah! le tracé devient régulier, etc. » Après tout, pourquoi n'était-ce pas du mot à mot qu'il aurait mémorisé et redit, comme le nouveau-né devenu schizophrène dont je vous ai parlé, qui a redit une «bande magnétique » sans y rien comprendre? Non, c'était un langage construit, en italien, comme si l'italien eût été sa langue maternelle.

Cet enfant de huit ans parlait une langue, apprise en deux mois de coma. Alors qu'avant il n'en savait pas un mot; il était allé en Yougoslavie, il n'y avait pas d'Italiens, la petite fille qui, elle, avait passé les vacances avec son frère, et qui n a rien eu, ne savait pas un mot d'italien. C'est tout de même extraordinaire ce document! non?

T.: Mais d'habitude, ces choses extraordinaires on veut les oublier.

F.D.: On ne les raconte pas; il faut que ça tombe, que ce soit oublié. Cet homme, il l'a certainement raconté aux Enfants-Malades quand il est arrivé... Si on l'a laissé parler. Mais peut-être qu'on ne l'a même pas laissé parler. Cet enfant, comment s'est-il réveillé? Que s'est-il passé?

Denise Teyssandier: Qui me prouve que c'est vrai? Que le grand-père a vraiment entendu cela? il n 'y a pas de vraies preuves.

F.D.: Vous avez raison. Mais j'ai vu les deux grands-parents, la grand-mère et le grand-père, qui dans leur récit se relayaient. Il n'y a pas de vraie preuve, mais vous savez il ne m'a pas raconté ça pour faire le malin. Non. Il m'a raconté ce qui s'était passé parce que je demandais ce qu'avait été l'accident qui avait traumatisé le garçon pour lequel ils consultaient.

D.T.: Je trouve cela sujet à caution.

F.D. : C'est possible. Vous avez raison, il faut toujours mettre en doute ce qu'on entend.

D.T.: Si vous aviez entendu vous-même, je le croirais.

F.D.: Eh oui... (Rires dans l'assistance.)

B.T. : Elle pourrait délirer...

F.D. : Et pourtant, je pourrais délirer. Oui, voilà comme il dit!

D.T.: Bien sûr, mais on s'en serait déjà aperçu.

F.D. : Mais ce monsieur ne délirait pas du tout, et sa femme qui n'est pas âgée, elle a quinze ans de moins que lui, cette femme qui m'avait raconté ça (Dieu sait que ça avait été pour elle une épreuve), elle le racontait comme une épreuve, de ne pas pouvoir communiquer avec son petit-fils.

D.T.: Je crois que les choses qui passent par plusieurs bouches et plusieurs oreilles, il faut S'en méfier.

F.D.: Mais là, c'est direct; cette femme était présente. Je crois qu'une histoire comme ça est difficile à inventer. Je ne vois pas pourquoi ces gens-là m'auraient raconté ça, et m'auraient raconté leur épreuve, de ne pas pouvoir parler avec lui qui parlait italien, leur épreuve de n'avoir rien compris.

D.T.: Eh bien, moi, je n'y crois pas.

F.D.: Oui. Bon, eh bien c'est possible! Enfin, moi je vous raconte ça comme un document qui, moi, m'a frappée.

M.-M.C.: On ne s'étonne jamais assez qu'un enfant apprenne à parler, qu'un beau jour il parle.

F.D.: Et il est parfaitement déjà dans le langage; même s'il ne dit qu'un mot, le langage qui est en dessous, le langage implicite, est parfait.

Danielle Rapoport: Le langage ne commence pas comme ça quand un enfant se met à parler. On a parlé hier de la marche. Ce n'est pas parce qu'un enfant à quinze mois se met à marcher qu'il n'y a pas eu la station debout avant, et puis tout ce qu'il y a eu avant, dans l'imaginaire du corps marchant, les racines dynamo gènes de la marche. Quand le langage apparaît, tout s'est déjà préparé avant. il y a en place des possibilités de réception, de compréhension et d'une façon extraordinairement riche et indifférenciée: un jour elles s'expriment. Exactement comme pour le développement biologique.

F.D.: Oui, sûrement. Et la psychologie est une métaphore de physiologie, justement.

D.T.: Ce qui est étonnant, dans cette affaire, à mon humble avis, c'est que cet enfant ait parlé un langage qu'en principe il n'a pas entendu: il a entendu un langage technique, des tracés plats, des tracés anormaux, etc.

D. : Il aurait pu, en effet, se faire l'écho de l'italien entendu. Il n'a pas du tout parlé ce langage-là. Moi c'est ça qui m'étonnait, c'est qu'il n'ait pas du tout parlé de choses médicales.

P. Vous parlez à un enfant de quelques jours, par exemple. On pourrait lui parler dans n'importe quelle Langue?

F.D. : Sûrement. À condition de lui parler la langue qui sort de soi, au point qu'on ne pense pas à ses mots; on dit ce qu'on a à dire, sans penser à la façon dont on les dit. À un être qui est au moins son égal, et peut-être supérieur à celui qui lui parle.

D.R.: On ne sort pas du coma comme ça. Moi qui passe en réanimation, je peux vous dire ce qu'il en est; quand un enfant sort du coma, il ne sort pas tout de suite de l'hôpital. Il se passe encore huit, dix, quinze jours, ce qui fait que tout ce qu'il avait entendu dans son coma a pris son sens à ce moment-là.

F.D. : Oui, c'est sans doute cela: il a entendu parler autour de lui, des gens, une petite infirmière qui dit: « Cet après-midi je vais chez ma mère, je vais voir mes neveux»; enfin, n'importe quoi... Il a entendu parler un peu de tout pendant son coma et pendant les jours où il a retrouvé ses esprits, comme on dit.

M.T. : Ces Italiens parlent tellement qu'ils ne laissent la place de parler à personne d'autre!... (Rires.)

F.D. : Je connais une autre histoire de coma. C'est une histoire qui s'est passée récemment...

Pour des raisons de secret professionnel, F. Dolto avait demandé aux Cahiers du nouveau-né de ne pas publier ce récit dans son intégralité. Il avait été ainsi résumé par la rédaction.

Une femme ayant accouché tombe dans un coma profond. Transportée en réanimation, son électro-encéphalogramme est plat. Son mari, ayant appris, à ce moment, des événements dramatiques survenus lors de la naissance de son épouse, les lui révèle dans son coma. Elle sort peu à peu de ce coma et sans aucune séquelle.

Et cependant, l'aplatissement du tracé avait duré plusieurs fois dix minutes. Le réanimateur avait averti la famille que si, à ce stade, elle sortait de son coma, elle resterait certainement paraplégique.

 


Texto de F. Dolto en Sospsy.com

 

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